Des immeubles insalubres condamnés à Marseille, le 23 février 2021 ( AFP / NICOLAS TUCAT )
Logé dans un appartement insalubre et dangereux, Alphonse s'est résolu à porter plainte contre son marchand de sommeil en dépit de sa situation irrégulière en France. Après un long combat, l'Ivoirien est en voie de régularisation en vertu de la dernière loi immigration. Un cas rare.
Les fils électriques qui serpentaient sur les murs suintants, les cafards et les rats qui tenaient compagnie à Alphonse et le filet d'eau qu'il devait partager avec les autres locataires appartiennent au passé. Désormais, l'Ivoirien, employé en CDI dans un restaurant, dit marcher la "tête haute".
En novembre 2024, Alphonse pourtant habitué à raser les murs, a osé dénoncer à la police ses conditions de vie dans l'un des nombreux "hôtels" insalubres situé à quelques mètres du touristique Vieux-Port de Marseille où il vivait depuis près de trois ans.
Son propriétaire, visé par une vaste enquête notamment pour "soumission de personnes vulnérables à des conditions d'hébergement indignes" a été placé en détention provisoire. Et Alphonse dort désormais dans un studio confortable.
Sans papier, Alphonse qui ne connaissait personne, n'a pas hésité quand, à son arrivée en janvier 2022, on lui a proposé un toit en échange du paiement d'un droit d'entrée de plusieurs centaines d'euros et d'un loyer mensuel de 300 euros. Payés cash, mais sans autres formalités administratives.
Certes les WC sont dans un tel état que "c'est compliqué" de les utiliser, certes il doit se résoudre à faire 45 minutes de transport en commun pour se doucher chez un compagnon d'infortune en raison des coupures d'eau, certes c'est dangereux, énumère-t-il pudiquement à l'AFP, mais c'est "toujours mieux que la rue".
C'est finalement un arrêté municipal pour péril imminent, provoquant son évacuation de force, qui l'incitera quelques mois plus tard, avec l'aide d'associations, à sortir de l'ombre.
- "Conflit de loyauté" -
Outre la peur de se jeter dans la gueule du loup et de se faire arrêter au commissariat en raison de leur situation irrégulière, les sans-papiers sont en proie à "un conflit de loyauté et beaucoup ne veulent pas porter plainte car leur logeur est la seule personne à leur avoir proposé un toit", explique Cyrille Guiraudou dont l'association locale œuvre à l'accompagnement aux Droits liés à l'habitat.
Un immeuble insalubre rue d'Aubagne, dans le centre de Marseille, le 5 mai 2019 ( AFP / Boris HORVAT )
Inscrit dans la loi de janvier 2024, à la suite d'un amendement déposé par le sénateur communiste Ian Brossat, le dispositif prévoit de délivrer une carte de séjour pendant la durée de la procédure pénale, aux étrangers victimes de "marchands de sommeil" ayant déposé plainte, afin "justement de rassurer les victimes face à ces peurs", relève l'avocate d'Alphonse, Clara Merienne.
Mais pour son client comme pour la trentaine d'autres dossiers défendus par les associations à Marseille, ville gangrénée par le mal logement, force est de constater que la loi peine à être appliquée.
Seuls de "fragiles" récépissés leur permettant de rester sur le territoire ont été délivrés par la préfecture des Bouches-du-Rhône après des recours devant le tribunal administratif, au lieu d'un titre de séjour, déplorent l'avocate et les associations.
La situation ne semble pas meilleure ailleurs: en Seine-Saint-Denis, où réside une population particulièrement précaire, quinze personnes ont obtenu un titre de séjour, selon la préfecture. Sur l'ensemble du territoire, leur nombre demeure inconnu, l'organe statistique du ministère de l'Intérieur, la DGEF, refusant de communiquer des chiffres. La préfecture des Bouches-du-Rhône n'a également pas répondu à l'AFP.
- "Terreur" -
Les étrangers en situation irrégulière sont pourtant les proies toutes désignées des loueurs sans scrupules: "si les locataires se rebellent contre leur propriétaire pour se plaindre, des gros bras leurs sont envoyés. Ils ne peuvent que se soumettre, conscients que des dizaines d'autres personnes attendent dehors leur place", confie sous anonymat une source familière de ces dossiers .
"Il règne une atmosphère de terreur", à la manière d'un "système mafieux avec un fort sentiment d'impunité des marchands de sommeil", poursuit cette source.
"La loi devait permettre de diminuer le pouvoir de nuisance des marchands de sommeil, mais ce que l'on constate c'est qu'il ne se passe rien ou presque. Les récépissés que l'on a obtenus, on les a arrachés", s'insurge Margot Bonis juriste au Réseau hospitalité à Marseille.
Des agents en préfecture qui ignorent l'existence même de la loi, ne savent pas comment procéder ou encore qui demandent de nouveaux documents à chaque rendez-vous, des policiers qui refusent de prendre les plaintes: la responsable d'association a essuyé en près de deux ans de nombreux revers.
Interrogé, le ministère indique pourtant avoir "mis en place des formations à destination de toutes les préfectures" sur la mise en oeuvre de ces dispositions.
"L'avantage des migrants, pour les marchands de sommeil, comme pour l'Etat, c'est qu'ils ne se plaignent pas et ne connaissent pas leurs droits", relève sarcastique Margot Bonis.

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